J'ai Passé 5 Ans à Essayer d'Arrêter. Pis j'ai Arrêté d'Essayer
La différence entre abandonner et se rendre
Le Paradoxe qui Sauve
Il y a quelque chose de profondément fucké dans le fait que pour gagner, il faut d'abord perdre.
Que pour se relever, il faut d'abord tomber à genoux.
Que pour trouver la force, il faut d'abord admettre qu'on n'en a plus.
Bienvenue dans le paradoxe central de tout rétablissement : la grâce.
Pas la grâce pieuse des cartes de vœux du Jean Coutu ou la grâce esthétique d'une danseuse. Non, je parle de cette grâce crue, viscérale, qui surgit dans les moments où on a tout perdu et où quelque chose d'inexplicable nous rattrape au vol. Cette force qui nous permet de continuer quand notre propre volonté s'est écroulée comme un château de cartes.
Si tu lis ces lignes, c'est probablement parce que tu connais cette sensation : celle d'être à boutte, épuisé·e de lutter contre tes propres démons, et de chercher quelque chose qui ressemble à un miracle.
Mais pas le genre de miracle hollywoodien.
Le genre de miracle qui sent la sueur, les larmes, et qui arrive dans les sous-sols d'église ou les centres communautaires, entre deux confessions brutalement honnêtes.
Mon Histoire : La Grâce Dans Un Stationnement de Village des Valeurs à Saint-Jean
Laisse-moi te raconter le moment où j'ai compris ce que signifiait vraiment la grâce.
C'était un après-midi de semaine, j'étais assis seul dans mon auto dans le stationnement du Village des Valeurs à Saint-Jean, en train de faire de la moto-narine. Tu sais, ce moment de pure solitude toxique où tu te caches même pour consommer, où tu peux même plus prétendre que c'est social ou fun.
J'étais là, les vitres fermées, à essayer de me convaincre que c'était juste pour "relaxer un peu", que j'avais le contrôle, que c'était pas si pire. Mais quelque part entre la paranoia qui montait et le goût amer de la réalité qui revenait, j'ai réalisé que j'étais rendu exactement là où je swore que j'irais jamais : seul, caché, en train de faire des affaires sketch dans un parking de magasin usagé.
C'est là que j'ai fait quelque chose que j'avais jamais eu le courage de faire : j'ai appelé mon amie qui était en rétablissement depuis un bon bout. Les mains qui shakaient, la voix qui cassait, j'ai réussi à articuler : "J'ai besoin d'aide."
Elle m'a pas posé de questions. Pas de "Qu'est-ce qui s'est passé?" ou "Es-tu correct?" Juste : "OK, reste en ligne." J'ai entendu qu'elle textait quelqu'un, puis elle m'a dit : "Il y a un meeting CA qui commence dans une heure au centre communautaire. Quelqu'un t'attend là-bas pour t'accueillir. Tu peux-tu y aller?"
Je me souviens d'avoir regardé mon reflet dans le rétroviseur - les yeux rouges, l'air défait - et de m'être dit : "Fuck it. J'ai pu rien à perdre."
Quand je suis arrivé au meeting, il y avait effectivement quelqu'un qui m'attendait dehors. Un gars avec des tatouages partout, l'air d'avoir vécu mille vies difficiles, mais avec ce sourire vrai que tu peux pas faker. Il m'a juste dit : "Salut, tu dois être celui qu’Isa a appelé?"
Pendant les 90 minutes qui ont suivi, j'ai entendu une dizaine de personnes raconter des versions de ma propre histoire. Pas avec pitié, pas avec jugement, juste avec cette reconnaissance immédiate de gens qui savent exactement c'est quoi, être assis dans un parking en train de se détruire tranquillement.
À la fin du meeting, L’ami d’Isa m'a donné son numéro et a dit : "Tu sais quoi? La grâce, c'est pas quelque chose que tu mérites ou que tu gagnes. C'est quelque chose qui arrive quand tu arrêtes de te débattre assez longtemps pour la laisser entrer."
Cette journée-là, dans ce stationnement du Village des Valeurs pis dans cette salle communautaire, j'ai fait ma première vraie capitulation. Pas parce que j'étais devenu spirituel du jour au lendemain, mais parce que j'étais rendu au bout du rouleau et que quelqu'un - plusieurs personnes, en fait - m'avaient fait comprendre qu'il y avait peut-être une autre façon.
J'ai trouvé la grâce dans ce groupe de weirdos magnifiques qui comprenaient exactement pourquoi on se retrouve à consommer seul dans un parking, et qui étaient là pour me dire que c'était pas la fin de l'histoire.
Qu'est-ce Que La Grâce, Vraiment?
La grâce, c'est pas un concept mystique réservé aux églises ou aux livres de développement personnel. C'est un phénomène concret, mesurable, qui opère à plusieurs niveaux dans le processus de rétablissement. Dr. Gabor Maté, Tommy Rosen, Brené Brown, Kristin Neff - tous ces experts arrivent à la même conclusion par des chemins différents : la grâce, c'est l'antidote à la honte qui nous maintient prisonniers de nos addictions.
La Grâce Comme Environnement
Dr. Gabor Maté nous apprend que l'addiction n'est pas une maladie ou un défaut de caractère. C'est une réponse compréhensible à un trauma non résolu.
Quand il pose la question "Pourquoi la douleur?" au lieu de "Pourquoi l'addiction?", il crée instantanément un environnement de grâce.
Cette compassion-là, elle transforme tout.
Parce que soudainement, tu n'es plus un·e "junkie" à réparer, tu es un être humain qui a mal et qui a trouvé la seule façon qu'il connaissait pour gérer cette douleur.
Cette perspective, elle te donne la permission de respirer, de baisser la garde, d'arrêter de te battre contre toi-même.
Ce qui devient évident, c'est que la grâce commence dans l'environnement.
Si t’es entouré·e de jugement, de stigma, de "tough love" mal appliqué, tu ne peux pas guérir.
La honte grandit dans le secret, le silence et le jugement.
La grâce fleurit dans la compassion, l'acceptation et la vérité partagée.
Maté a raison quand il dit que la douleur de l'addiction origine souvent des traumatismes d'enfance - pas nécessairement de l'abus physique ou sexuel, mais simplement de l'absence d'attunement émotionnel dont un enfant a besoin pour développer ses systèmes internes de régulation.
Quand ces systèmes sont sous-développés, la substance devient un neurotransmetteur externe, une tentative de réparer ce qui a été cassé trop tôt.
La Grâce Comme Expérience Corporelle
Tommy Rosen, avec son approche Recovery 2.0, nous montre que la grâce n'est pas juste un concept mental.
C'est une expérience physique, sensorielle. Quand il décrit sa première séance de yoga comme "du sang qui coulait dans des tissus qui n'avaient pas été irrigués depuis longtemps" et cette sensation de "lumière pure", il parle de grâce incarnée.
L'addiction, elle s'installe dans le corps. Le trauma se loge dans nos tissus, nos muscles, notre système nerveux.
Tu peux comprendre intellectuellement pourquoi tu bois ou tu consommes, mais tant que ton corps reste figé dans des patterns de survie, tu restes vulnérable.
Ça devient clair que la grâce a besoin d'un véhicule physique. C'est pourquoi les pratiques somatiques - pleine conscience, méditation, breathwork, même juste prendre une marche ou écouter de la musique qui te fait vibrer - ne sont pas des "extras" dans le rétablissement. Ce sont des outils essentiels pour créer un état de réceptivité à la grâce.
Rosen parle de "gratitude comme raccourci vers la grâce" - pas la gratitude toxique du genre "au moins c'est pas pire", mais cette reconnaissance authentique qui transforme littéralement ta chimie corporelle et ton état vibratoire.
La Grâce Comme Capitulation
Les programmes 12 étapes l'ont compris depuis longtemps : "Nous avons admis que nous étions impuissants devant l'alcool et que nous avions perdu la maîtrise de nos vies." Cette première étape, c'est l'acte de grâce par excellence.
Mais attention - capitulation, ça ne veut pas dire devenir passif·ve.
Au contraire, c'est l'acte le plus courageux qui soit : arrêter de se battre contre la réalité pour pouvoir enfin la naviguer intelligemment.
C'est exactement ce que la thérapie DBT (Dialectical Behavior Therapy) appelle "l'acceptation radicale" : reconnaître la réalité complètement, sans déni, sans jugement, sans résistance.
Pas parce qu'on l'aime, mais parce que c'est la seule façon de pouvoir agir efficacement.
Cette révélation change tout : la grâce demande un acte de volonté paradoxal - choisir activement de ne plus essayer de contrôler.
C'est renoncer à la lutte pour pouvoir enfin gagner.
C'est le reboot nécessaire pour sortir de la boucle destructrice "tentative de contrôle → échec → honte → besoin de s'anesthésier → retour à la substance".
La Mécanique de la Grâce : Comment La Recevoir
1. Vulnérabilité : L'Antidote à la Honte
Brené Brown l'a prouvé scientifiquement : la honte peut pas survivre à l'empathie. Quand tu partages ton histoire authentique avec quelqu'un qui a gagné le droit de l'entendre, et que cette personne répond avec un "Moi aussi", la honte se désintègre.
C'est pour ça que les meetings AA/NA fonctionnent si bien. Pas à cause de la méthode ou de la spiritualité spécifique, mais à cause de cette alchimie particulière qui se produit quand quelqu'un dit : "Je m'appelle Sarah et je suis alcoolique" et que 20 voix répondent : "Salut Sarah."
Dans cette transaction, il se passe quelque chose de magique : la honte, qui nous murmure "Tu es seul·e, tu es différent·e, tu es cassé·e", se fait instantanément contredire par l'évidence du contraire.
Brown définit la vulnérabilité comme "l'incertitude, le risque et l'exposition émotionnelle" - la volonté de se montrer et d'être "vraiment vu·e" même quand on ne peut pas contrôler l'issue.
C'est le courage d'être imparfait. Et contrairement à ce que notre culture nous dit, la vulnérabilité n'est pas de la faiblesse - c'est notre mesure la plus précise du courage.
En pratique : Trouve un espace safe où tu peux être vulnérable. Meeting, groupe de thérapie, ami·e de confiance qui comprend. Commence par de petites vérités et construis graduellement ta capacité à être vu·e dans ta totalité.
2. Auto-Compassion : Devenir Sa Propre Source de Grâce
Kristin Neff a passé sa carrière à étudier l'auto-compassion, et ses recherches sont claires : se traiter avec bienveillance est plus efficace que se flageller pour créer du changement positif.
L'auto-compassion, ça a trois composantes :
Bienveillance envers soi : Te parler comme tu parlerais à ton meilleur ami qui vit la même chose
Humanité commune : Réaliser que souffrir fait partie de l'expérience humaine, pas de tes défauts personnels
Pleine conscience : Observer tes pensées et émotions sans te faire emporter par elles
Ce qui devient fascinant, c'est que l'auto-compassion fonctionne au niveau neurologique. Chaque fois qu'une personne rencontre un moment de souffrance avec de l'auto-compassion au lieu de l'auto-jugement, elle affaiblit activement l'ancien chemin neural (douleur → honte → craving) et en renforce un nouveau (douleur → auto-compassion → résilience). C'est de la neuroplasticité en action.
En pratique : La prochaine fois que tu glisses ou que tu fais une erreur, au lieu de te dire "Je suis un·e esti de loser", essaie : "C'est difficile en ce moment. Beaucoup de gens vivent des rechutes. Qu'est-ce dont j'ai besoin maintenant pour prendre soin de moi?"
3. Gratitude Authentique : L'État de Réceptivité
Tommy Rosen dit que "la gratitude est l'état ultime de réceptivité et le raccourci vers la grâce." Pas la gratitude toxique du genre "au moins c'est pas pire", mais la gratitude authentique pour les petites choses qui nous gardent en vie.
La gratitude, ça rewire littéralement ton cerveau. Ça l'entraîne à chercher ce qui va bien au lieu de se focaliser obsessionnellement sur ce qui va mal. Mais plus que ça, la gratitude crée un état physiologique de réceptivité - cette ouverture du cœur et de l'esprit qui permet à la grâce d'entrer.
En pratique : Chaque matin, avant de checker ton cell, nomme trois choses pour lesquelles tu es reconnaissant·e. Ça peut être aussi simple que "Mon café est chaud", "J'ai un toit", "J'ai pas consommé hier".
Les Doubles Standards Sociaux
La grâce, elle est distribuée inégalement dans notre société.
Une maman de banlieue qui boit du vin blanc après le travail va recevoir plus de compassion qu'un gars de Hoch’lag qui consomme du crack.
Une personne riche qui va en rehab privé va être vue comme "courageuse", tandis qu'une personne pauvre qui fréquente les services publics va être étiquetée comme "problématique".
Il faut qu'on soit conscient·es de ces biais pour pas reproduire le même système de jugement qu'on essaie de fuir.
Quand la Grâce Semble Pas Marcher
Parfois, tu fais tout "comme il faut" - tu suis le programme, tu médites, tu es vulnérable, tu pratiques l'auto-compassion - et tu as quand même envie de consommer.
Tu te sens encore tout fucké.
C'est normal.
La grâce, c'est pas un fix instantané.
C'est un processus lent, souvent imperceptible.
Parfois, la "grâce" se manifeste juste dans ta capacité à tenir une journée de plus, à demander de l'aide au lieu de t'isoler, à ressentir la douleur sans immédiatement courir vers ta substance.
Comme C.S. Lewis l'a noté : "Plus tu te rapproches du soleil, plus grande devient ton ombre", suggérant qu'une conscience accrue - un don de grâce en soi - peut nous faire sentir pire avant de nous faire sentir mieux.
Comprendre la Transformation
La Grâce est Systémique
Tu peux pas te rétablir dans un vacuum. Ta famille, tes amis, ta communauté, la société - tout ça influence ta capacité à recevoir et à donner de la grâce.
Si ton environnement est toxique, en sortir fait partie du processus de grâce envers toi-même.
Ce que Gabor Maté nous enseigne, c'est que l'addiction commence souvent dans un environnement précoce qui manque de sécurité et d'attunement nécessaires pour un développement sain.
Les réponses punitives de la société créent ensuite un environnement ultérieur qui continue d'être hostile et retraumatisant.
La solution - une approche basée sur la compassion et informée des traumatismes - est un appel à changer fondamentalement l'environnement autour de la personne.
Le Rétablissement est Créatif
Chaque personne va expérimenter et cultiver la grâce différemment. Pour certains, ça va être à travers la spiritualité traditionnelle.
Pour d'autres, ça va être à travers l'art, la musique, la nature, les relations.
Il y a pas une seule "bonne" façon.
Il y a ta façon.
Le but n'est pas simplement l'abstinence ou la gestion d'une maladie chronique.
Le point, c'est de "prospérer en rétablissement et vivre une vie inégalée".
Cela redéfinit le rétablissement d'un processus de gestion d'un déficit vers un "Chemin de Découverte".
La Grâce est Politique
Quand tu arrêtes de t’haïr, quand tu récupères ton énergie créative, quand tu refuses de porter la honte du monde sur tes épaules, c'est un acte révolutionnaire.
Une société qui profite de notre auto-destruction a pas intérêt à ce qu'on découvre notre propre valeur.
Le rétablissement, c'est pas juste arrêter de consommer.
C'est reprendre possession de ta life, de ta voix, de ton pouvoir.
C'est dire fuck you au système qui compte sur notre silence et notre auto-destruction pour fonctionner.
La Grâce Comme Mode de Vie
Au final, la grâce en rétablissement, c'est pas une destination. C'est une façon de voyager.
C'est apprendre à danser avec l'incertitude, à être tendre avec tes propres struggles, à reconnaître l'humanité brisée et belle en toi et dans les autres.
Gerald May, psychiatre et théologien, nous rappelle que les dynamiques d'addiction ne sont pas confinées à une population spécifique mais sont "activement à l'œuvre chez chaque être humain".
Pour May, l'addiction n'est pas une anomalie mais un aspect fondamental de la condition humaine, intimement lié à notre capacité de conscience spirituelle et notre expérience de la grâce.
Il élargit la définition d'addiction bien au-delà des substances, la définissant comme un "processus d'attachement" par lequel nos désirs naturels, deviennent fixés sur des choses finies.
Ces objets d'attachement peuvent être n'importe quoi qui déclenche le système de récompense du cerveau : non seulement l'alcool et les drogues, mais aussi le travail, le sexe, la performance, les accomplissements, et même les relations.
C'est comprendre que ton worst day sobre est encore un acte de résistance contre tout ce qui voudrait te voir disparaître.
Que chaque fois que tu choisis la compassion au lieu du jugement - envers toi ou envers les autres -, tu participes à quelque chose de plus grand que toi.
La grâce, elle se cultive dans les petits gestes : répondre à un DM de quelqu'un qui struggle, dire la vérité même quand c'est laid, demander de l'aide même quand ton ego veut que tu gères tout seul, choisir la douceur même quand tu es en colère contre toi-même.
C'est pas toujours facile .
Fuck, c'est même souvent difficile en esti.
Mais c'est possible. Et chaque jour sobre, chaque choix conscient, chaque moment de tendresse vers toi-même, c'est déjà la grâce en action.
T’es pas si fucké que ça dans le fond .
T’es pas too much ou pas assez.
T’es un être humain qui fait de son mieux avec les outils qu'il a, dans un monde qui est souvent cruel et chaotique.
Et ça, mon ami.e, c'est déjà suffisant pour mériter toute la grâce du monde.
Tu sais ce que j'ai appris? La grâce, ça se multiplie quand c'est partagé.
C'est pour ça qu'on a créé le Discord Sobriété Sauvage - un espace pour recevoir et donner cette grâce dont on parle dans cette lettre.
Si tu veux faire partie de cette gang de weirdos magnifiques qui se comprennent, tu sais où nous trouver !
(C’est Ici )